vendredi 12 février 2016

L'orphelin de Port-Pergas (1)

Chers lecteurs,

J'ai depuis longtemps l'envie d'écrire de la littérature. Mais je ne savais pas quelle forme donner à cette envie. Ce blog est ma réponse. Chaque semaine, je publierai un chapitre ou un épisode d'un roman, écrit par mes soins. L'occasion pour moi de me motiver en trouvant un public, et d'apporter à mes lecteurs un roman gratuit que vous pourrez lire librement.

Voici le premier épisode des aventures de "l'orphelin de Port-Pergas". Vous êtes libre de me donner votre avis dans les commentaires. Il sera le bienvenu, et me permettra d'améliorer ma plume à votre contact, grâce à vos conseils.

Vous pouvez télécharger gratuitement une version epub ou une version PDF de ce roman, pour un meilleur confort de lecture. C'est la première fois que je génère un document epub, je vous invite donc à me dire si la lecture est confortable et à me prévenir si vous avez rencontré des soucis, bugs d'affichage et autres.

Sur ces entrefaites, je vous souhaite une bonne lecture !

Episode 1 : la vallée perdue

Une ombre surgit de la brume au détour du sentier rocailleux. Un corps malingre fend l'Ether, faisant rouler les pierres du chemin sous des bottes usées et dépareillées. Le gamin semble fatigué, peinant et geignant en levant haut ses genoux sur la pente raide. Il a drôle d'allure, ce gosse. Une dégaine d'enfant perdu, de morveux sans-le-sou, de mendigot de caniveau. Ses cheveux blonds cendrés, raides comme des tiges de fil de fer, disparaissent sous une casquette de feutre informe. Sa frimousse constellée de tâches de rousseur est noire de saleté, et pourtant la lueur dans son regard est vive. Ses deux dents de devant manquantes, en revanche, lui donnent un air idiot. Son trop long manteau de cuir lui descend aux tibias, dissimulant un pantalon et une chemise de toile trop courts et maintes fois reprisés. Son corps sec, cagneux, tout en angles, semble disparaître sous la crasse et le tissu. Comme si l'enfant n'était qu'un courant d'air.

Autour de lui, tout est noyé dans les nuages, dans une masse blanche et cotonneuse qui s'accroche au paysage, qui le sublime, le remplace. Il eût aussi bien pu être seul au monde, une chimère, la manifestation d'un univers parallèle et éphémère.

L'enfant trébuche et se rattrape des deux mains à la sente escarpée. Il ne voit même plus ses pieds. Il peste et se redresse, poursuit son avancée. Il marmonne et ses propos se perdent dans la purée de pois qui l'environne. Il continue la conversation, s'adressant d'une voix plaintive à son ami invisible. Un coup de vent violent chargé de sable vient lui secouer les cheveux, l'obligeant à retenir de la main sa casquette de feutre. C'est qu'il y tient, à cette casquette !

"- Khamsin, arrête ! Ca ne sert à rien. Ce maudit brouillard est tellement épais qu'on pourrait le couper au couteau et le vendre en cubes sur le marché de Port-Pergas."

Une brise plus douce lui répond, tandis que l'enfant poursuit son périple.

Il parvient enfin au sommet, étale plus qu'il n'essuie la sueur crasseuse qui lui couvre le front. Il avance de quelques pas et soudain hoquète de surprise : la brume a disparu. Devant lui, en contrebas, se déploie une petite vallée chatoyante, lovée entre deux escarpements de roche inhospitalière. La purée de pois forme une limite bien nette tout autour du vallon, comme si une barrière invisible l'empêchait de s'étendre et de tout recouvrir d'un linceul uniforme. L'enfant se retourne : derrière lui, à deux pas, se dresse un mur blanc d'une netteté surnaturelle. Il tremble, surpris et inquiet, et sa voix se fait chevrotante quand il se remet à parler :
"- Kha... Khamsin, tu... tu es toujours là, hein ?"

Un souffle amical vient murmurer à ses oreilles, s'enroule dans son cou, poursuit son trajet entre ses doigts avant de partir en direction de la vallée. L'enfant, rassuré, tourne à nouveau son regard vers la combe. Il commence à descendre, émerveillé désormais par le spectacle offert à ses yeux.

Une douce vibration le fait frissonner des pieds à la tête, une stridence qui ne s'entend pas avec les oreilles mais se ressent avec les tripes. Le Son irradie le vallon, noyant l'enfant dans un sentiment d'apaisement. La vallée est littéralement couverte de cristaux, d'immenses cristaux transparents et multicolores, poussés par grappes au milieu de la végétation. La lumière du soleil, décomposée par les facettes minérales, inonde l'espace des couleurs de l'arc-en-ciel, rendant la scène d'une beauté insoutenable. Littéralement insoutenable.

Les yeux plissés, le coude collé contre le visage pour faire obstacle à la luminosité ambiante, l'enfant poursuit sa descente à l'aveuglette, confiant à son ami invisible le soin de le guider sur le chemin. Attentif, il suit les mouvements d'air subtils devant lui, et par on ne sait quel miracle, le sol s'aplanit sans qu'il n'ait chu une seule fois.

Ses yeux finissent par s'accoutumer à la clarté excessive. Sa casquette de feutre vissée sur le crâne, les mains posées sur les sourcils, l'enfant peut désormais observer le paysage. De près, les prismes hexagonaux sont encore plus formidables. Largement plus hauts que dix hommes mis bout à bout, larges de plus d'un homme, ils sont regroupés par grappes de 6 ou de 8 et dispersés selon diverses inclinaisons. Pas un seul n'est exactement de la même teinte. La lumière joue parmi leurs faces translucides, se réfractant et se diffractant selon des motifs capricieux et magnifiques. Des motifs que l'on croirait presque vivants.

L'enfant s'avance parmi les monolithes d'Ether et de Son. Il se baisse, contourne, se baisse à nouveau, jusqu'à déboucher devant un espace vide que l'éblouissement l'avait empêché de percevoir. D'une géométrie parfaite, la clairière circulaire accueille en son centre une drôle de construction : l'édifice de forme rhomboédrique mesure deux hommes de hauteur et cinq ou six hommes de côté. Ses murs semblent d'un cristal uniforme, d'un noir incarnat légèrement translucide sur l'épaisseur d'une main. La face qu'observe le garçon présente en son centre une porte de bois, massive et rectangulaire, détonnant par sa réalité avec la féérie irréelle du décor alentour. L'enfant s'approche du vantail de vieux chêne. Un heurtoir de bronze placé à hauteur d'homme - et donc trop haut pour l'enfant, figure une main desséchée et osseuse.

Sur le pas de la porte, le gamin hésite. Il observe le moignon raccorni de métal, et se remet à trembler. L'indécision. L'incompréhension. Que fait-il là ? Pourquoi est-il venu jusqu'ici ?

Une voix aigüe et sonore, à la fois criarde et rocailleuse, l'interpelle et le fait sursauter :
"- Tu comptes camper sur mon pas de porte ? Dépêche-toi d'entrer, imbécile, ne vois-tu pas que tu me fais attendre ?"

L'enfant, terrifié, devrait fuir à toutes jambes, il en est conscient. Et pourtant, malgré sa peur, le réflexe ne lui vient pas. Il se sent irrémédiablement attiré par ce qui se cache à l'intérieur du curieux édifice. La peur au ventre, comme soumis à un charme, il tourne la poignée de bronze. La porte s'ouvre avec une lenteur dérangeante, émettant un sinistre grincement...