mercredi 23 novembre 2016

L'orphelin de Port-Pergas (2)

Chers lecteurs,

Voici le deuxième épisode hebdomadaire des aventures de l'orphelin de Port-Pergas. J'espère que vous prendrez plaisir à lire la suite de ses aventures. Votre opinion est la bienvenue en commentaires.

Vous pouvez télécharger gratuitement une version epub ou une version PDF de ce roman, pour un meilleur confort de lecture. C'est la première fois que je génère un document epub, je vous invite donc à me dire si la lecture est confortable et à me prévenir si vous avez rencontré des soucis, bugs d'affichage et autres.

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Sur ces entrefaites, je vous souhaite une bonne lecture !

Episode 2 : l'étrange inconnue

Figé dans l'embrasure, le gamin observe la vieille dame, assise au fond de la pièce près d'un métier à tisser. Cheveux blancs échevelés, longue tunique richement tissée et brodée de perles. L'air pas commode. Des yeux mécontents, qui le transpercent. Mal à l'aise, l'enfant détourne le regard vers le mur, orné d'une invraisemblable superposition de tapisseries. Ses yeux s'égarent parmi les oeuvres d'art magnifiquement tissées, parmi les personnages, les animaux, les paysages. Emerveillé, son attention est capturée par tant de beauté foisonnante. Il oublie la femme, il oublie la pièce, il oublie Khamsin et la vallée. Il oublie tout. Il se souvient...

"Obscurité. Odeur d'argile. Pas loin, pas loin. Bientôt. Fébrile. Creuser. Creuser encore. Pattes sentent. Poils vibrent. Esprit souvient. Souvient Temps lointains. Voir. Bientôt, voir. Monter, toujours monter. Odeur change. Nouvelle odeur, mémoire ancienne... Humus. Joie. Excitation ! Terre meuble. Vite, plus vite ! Vide. Air bouge sur peau. Interrogation ? Peur du vide ! Quelque chose s'ouvre. Lumière ! Lumière qui brûle ! Bonheur-Terreur-Angoisse-Question-Arrivée-Espoir ! Surface !"

Quelque chose l'oblige à se retourner et l'enfant sursaute, tiré de sa rêverie. La vieille dame se tient face à lui, une main sèche sur chacune de ses épaules. Elle le réprimande, ses yeux scrutateurs rivés dans les siens :

"- ...n'est pas une bonne chose de se perdre dans les tapisseries. Voyons, mon garçon, concentre-toi un peu ! Bon, l'important est que tu sois arrivé à l'heure dite, malgré ta propension à faire tours et détours. DEHORS !" hurla-t-elle tandis qu'un vent inquiet s'immisçait dans la pièce. Le souffle d'air se tarit immédiatement et la porte se referma en claquant. "Où en étais-je ? Ah, oui ! Veux-tu une tisane ?"

Le gamin la regarda, héberlué et hésitant.

"- Oui, tu veux une tisane. Bien sûr que tu veux une tisane. File chercher la théière, je m'occupe des tasses. Tu sais où est la manique."

Bizarrement - ce n'était qu'une minuscule étrangeté parmi l'avalanche de bizarreries qui lui tombaient dessus - il savait effectivement où était la manique : à droite de l'âtre, suspendue au mur par un crochet de fer, entre une femme aux cheveux d'or et un figuier millénaire. L'enfant se dirigea dans le coin de la pièce, ignorant les images murales, décrocha le gant de tissu rêche et saisit la bouilloire en céramique qui ronchonnait au-dessus du feu. Quelque chose le piqua, ou plutôt le brûla et l'enfant sursauta, renversant un peu d'eau dans les flammes. Ces dernières se teintèrent d'un rouge vif et poussèrent un ricanement mesquin.

"- Ne fais pas attention à Feu, c'est un chenapan et il n'a pas souvent l'occasion d'embêter son monde dans cette maison", lui dit la vieille dame en refermant le buffet de bois rustique. Elle se dirigea vers la table et y déposa deux bols dépareillés et ébréchés. "Viens donc ici et verse-nous deux bonnes rasades de tisane. Et va donc pendre ton manteau à la patère ! Il est tout humide de rosée."

Une fois sa veste accrochée et ses chaussures crottées mises à sécher, le gamin se retrouva juché sur une chaise en osier trop haute pour lui, ses petites jambes pendant dans le vide, un bol de bonne tisane chaude entre les mains. Il lorgnait la femme, dont le visage austère s'était fendu d'un sourire. Elle but une gorgée avant de prendre la parole :

"- Tu te demandes ce que tu fais là, n'est-ce pas, mon chou ? Tu as reçu l'appel, et comme tu n'avais rien à perdre, tu es venu. Un pauvre petit orphelin de Port-Pergas, sans personne sur qui compter à part un vent mineur du désert, qui survit de rapines et de charité, grâce à l'indulgence d'un chef de bande de voleurs un peu trop sensible pour son propre bien. Ha ! Ce grand mystère de la vie. Tu cherches des réponses. Les humains cherchent toujours des réponses. Et ils ne savent jamais quoi en faire quand ils les trouvent. Laisse-moi te raconter pourquoi tu es ici..."